Il était une fois St Louis.

•2 juin 2010 • 4 commentaires

Une fois n’est pas coutume, nous continuons notre ballade africaine de la culture avec une nouvelle étape, j’ai nommé le St Louis Jazz festival. Sur des rythmes de basse Jazzie et une improvisation déjantée d’un musicien à la Django Reinhardt, ce festival d’envergure internationale est un des plus renommé de toute l’Afrique. Des invités de marques à la découverte d’artistes inconnus qui deviendront les futurs étoiles de demain, la ville vit au rythme de Duke Ellington et Billie Holiday pendant 4 jours consécutifs, entre concerts, expositions et autres manifestations culturelles partagées entre le IN (programmation officielle) et le OFF (programmation parallèle). Et quel cadre pour recevoir pareil festival !

Autrefois capitale du Sénégal, Saint Louis est resté le cœur historique et culturel du pays, elle a autant la beauté et la tranquillité que Dakar a la pollution et le désordre. Après quelques temps passés dans la frénésie chronique de la capitale, une escapade à St Louis est un véritable eldorado de calme et de volupté. Bien sûr ce n’est pas non plus idyllique, il y a aussi des taxis qui klaxonnent, des gens qui vident leurs poubelles sur les trottoirs et des charettes à chaque coin de rue, mais on ne s’en rend même plus compte avec le charme des maisons coloniales de toutes les couleurs, l’air marin et le paysage changeant suivant le côté de l’île ou l’on se situe. Construite par les européens il y a exactement 350 ans, la ville s’étend sur une langue de terre de 2,5 km de long sur 300 m de large, entre le fleuve Sénégal et l’Océan Atlantique, et ce aux portes du désert de Mauritanie.

Autrefois principal comptoir de commerce de toute la côte occidentale avec Gorée, St Louis a su garder une identité culturelle très forte malgré les années d’indépendance et l’essor économique et politique de Dakar, désormais centre névralgique et mégalopole de toute l’Afrique de l’Ouest. Ici les habitants sont st-louisiens avant d’être sénégalais, et l’intemporalité qui règne sur l’île a comme la saveur des villes oubliées qui sont restées à l’écart de la course au développement actuel pour conserver un charme qui leur est propre, attaché à une histoire et une nature environnante si particulières. Ainsi, aucun endroit ne semblait plus approprié que St Louis pour accueillir un festival d’une telle ampleur. Pour accéder à l’île, il faut emprunter le célèbre Pont Faidherbe, seul lien permanent reliant le monde terrestre à ce petit bout de paradis. Ne soyez pas trop regardant sur son état de vétusté actuel, gardons à l’esprit que pour l’époque c’était un petit bijou de la technologie, même si c’était il y a plus d’un demi-siècle ! Malgré le trafic qui reste à la mode africaine, l’air marin chasse bien vite les fumées toxiques des antiques pots d’échappement, et l’œil est vite attiré par le charme des bâtiments d’époque coloniale, les terrasses fleuries au bord du fleuve qui vous invite à une pause désaltérante. Les rues sont un défilé permanent de boubous colorés, de vendeurs à la sauvette de fruits de saisons, produits tombés du camions, et autres contrefaçons sans façons.

J’avoue arriver à St Louis l’esprit léger et me laissant aller sans vergogne à l’euphorie ambiante. C’est de loin mon spot préféré du Sénégal, et à part écouter du Jazz, regarder des peintures et reprendre des forces autour d’une thiof grillé et d’une gazelle au bord du fleuve, je n’ai aucune attente particulière. Ainsi le premier soir, au lieu d’aller regarder la programmation officiel du IN au Quai des Arts, nous avons préféré parcourir la ville au gré de la musique sortant des bars et autres boui-boui locaux plus ou moins branchés, pour une immersion sans limites dans le OFF du Festival. L’approche Underground de la fête, là où on met de côté les têtes d’affiche pour aller à la rencontre d’illustres inconnus qui se révèleront virtuoses une fois tombés les masques de la nuit. Dans un premier bar qui rappelle un peu trop le style « européen-branché-lounge and co », un groupe qui vaut le détour reprend des classiques mêlés à des rythmes du Mbalakh local, en concluant par l’intervention d’un groupe cubain qui fait monter la température ambiante de quelques degrés. Ensuite, dans un boui-boui plus local un groupe reprenant les classiques de Ray Charles, entourée de peintures d’artistes locaux : une prestation sans prétentions à déguster sans retenue avec un bon verre de vin rouge et quelques arachides. Ensuite, dans une cour à ciel ouvert sous un arbre séculaire, un groupe local et familial mêlant sons traditionnels sénégalais, influences reggae et rythmes jazzie : cockatil explosif qui s’avère être une totale réussite. On se lève, on danse, et certains artistes présents dans la salle se lancent dans des impro imprévus qui envoient : un vieux black sorti d’un film en noir et blanc nous offre un « brano » au saxo sensationnel, tandis que lui succède un illustre inconnu dont la communion avec sa trompette nous laisse sans voix. Ensuite vient le joyeux bob-le-poto-qui-a-bu-un-coup-de-trop-, pas musicien pour 2 sous mais qui se lance vaillament dans une impro à l’harmonica, certes très perso, mais qui en fait rire plus d’un. Après, un toubab avec un look nostalgique des années Woodstok entame une impro à la guitare manouche tout simplement extraordinaire, et on termine par la prestation d’un groupe sorti tout droit d’un docu.sur le Gospel, et qui nous livre un meddley au Beat Box euphorisant. La ville ne dormira pas de toute la nuit, et à se ballader dans ses ruelles sombres on progresse au pas des battements sourds qui émanent de son âme, ravivée par la musique ambiente, explosion fantaisiste de musiciens acrobates.

Le lendemain, après un réveil difficile les brumes matinales sont bien vite dissipées par un triple café noir et un bon thiof grillé au bord du fleuve. La journée passe comme de le dire, entre la contemplation d’une exposition de tissus mauritanien par ici, la visite de peintures sous verres par là, entremêlé de sculptures tellement subjectives qu’on ne sait comment les regarder, bref le tour du OFF de la Biennale des Arts est à l’honneur. Autant de manifestations du talent artistique de jeunes créateurs qui se découvrent avec leur premier vernissage, comme ceux qui en ont trop vu, dispora d’âme en quête d’évasion nous entraînant avec plus ou moins de brio dans leur fantastique voyage.

Une fois la nuit tombée, retour au Jazz avec la programmation IN du Festival, donc rendez-vous au Quai des Arts. Au programme, « African Jazz Roots Quintet Euro-Afrique »,  en première partie, qui s’avère être un groupe local brillant, mêlant une basse jazzie avec des instruments traditionnels sénégalais. Ensuite vient le « Jerry Gonzales Sextet », groupe hispano-cubain, mêlant basse et batterie jazzie, pianiste déjanté, « cantos gitanos » et percu-cubaine. On s’imagine presque à la Havane dans des soirées caliente mêlant salsa et jazz, avec un mojito bien frais à la main. Merveilleux, et l’improvisation successive des artistes donne envie de balancer les chaises et monter sur scène pour se laisser aller à la musique, sans aucune retenue. Enfin, vient LA tête d’affiche de la soirée : Pharao Sanders, mythique jazzman qui a vu passer plus d’un printemps avec les plus grands de ce monde, monte sur scène. Pas de froufrou ni d’artifices, juste lui et son pianiste, niente di piu. Tempes blanchies et démarche claudicante, il se lance dans une tirade au saxo.qui montre à quel point les années l’ont fait communier avec son instrument. On écoute et on admire, ni plus ni moins. A la fin, la salle se lève dans un même élan pour acclamer les artistes.

Pour finir la noche en OFF avec ce beau monde, direction la Taverne : bar construit dans une ancienne prison à esclaves, l’ambience est confinée, quasi intime, alors on après avoir swingué sans retenue pendant 2 jours on se pose autour d’une Flag, et on apprécie. Un groupe nous livre une ultime prestation au milieu de la cour à ciel ouvert, sur des rythmes plus tranquilles alliant du reggae-jazz mêlé à des chants traditionnels locaux. Ballade africaine qui nous transporte doucement et nous fait revivre par vagues successives ce voyage dans le coeur st-lousien. Que faire à part se laisser une nouvelle fois emporter, et espérer revenir une prochaine fois ..

Just real life ..

•31 Mai 2010 • 7 commentaires

3 mois passés en terre africaine… Déjà!!!  En disant ça, j’ai l’impression de parler comme les vieux du PMU, a ressasser inlassablement des souvenirs en ponctuant la fin de l’histoire par le classique«badam, que le temps passe vite ! ».

Plus sérieusement, chaque jour qui passe semble montrer à quel point le temps a une valeur différente ici. Débarrassée de tout la technologie d’assisté de chez nous, impossible de perdre du temps a regarder un épisode de telle série addictive entre deux rdv, de se poser après manger devant le journal, de regarder un film le soir avant de trouver le sommeil, d’aller boire l’apéro entre potes à la fin d‘une journée de dur labeur …non, ici ma radio acheté sur le marché local est mon seul lien concret et quotidien avec le monde extérieur (merci RFI ;)) et le cyber du coin quand la connexion fonctionne normalement, sinon on se contente de choses simples : 3 repas journaliers, le travail à l’école, parfois le soir pour certains travaux informatiques, le reste dépend des jours et des besoins. Pas de frigo ni de cuisine ou rangement à proprement parlé pour des grignotages intempestifs, donc on fait le marché tous les matins pour la cuisine du midi, et inch’allah pour le repas du soir, ça dépend de l‘inspiration du moment!!

Tout ça pour dire que mes journées sont rythmées par des leitmotiv oubliés depuis bien longtemps en France, du moins dans MA vie quotidienne standard. Déjà le jour de lessive, je perds une demi journée rien que pour ça : de 8h à 12h en général, je me pose sur le perron de la maison et habillée en cosette, les mains dans la mousse jusqu’aux coudes, je frotte, frotte, frotte…jusqu’à ce que mort des tâches s’ensuive !! Alors après 3 mois j’ose avouer avoir changé quelques habitudes vestimentaires par souci pratique et de gain de temps : déjà on laisse les jeans au placard, parce que c’est tellement galère de les laver à la main que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Après, ma manie de changer de vêtements tous les jours, au placard aussi : autant bien salir une jupe de trois jours et bien suer dans le même débardeur (sexy girl!) au moins c’est pas pour rien que je vais frotter !! Le pire restent les serviettes, car entre les toilettes quotidiennes et la plage rien à faire, à chaque fois ça reste un travail de longue haleine…..sans parler des draps que je désinfecte chaque semaine à cause de mes potes les mille-pattes qui aiment venir me chatouiller une fois la nuit tombée, et là c’est une grande perte en terme d’huile de coude !!

Bref, tout ça pour dire que chez maman il suffit de tourner un bouton et la lessive se fait toute seule donc on ne prend même pas le temps de penser à ce que ça représente, alors qu’ ici je me dis dès le lundi: quel jour aurais-je le temps de me consacrer à LA lessive ?!Sinon après la lessive vient le marché. Chez nous, la question est plutôt simple à régler : un passage hebdomadaire au supermarché pour faire les réserves, un saut au chinois du coin ou un coût de téléphone à Domino’s pizza et le tour est joué. Ici point de technologies spécial fainéant, si tu veux pas manger du pain et des fruits à chaque repas c’est direction marché !! En fait, le problème comme je l’ai dit c’est l’absence de frigo à la maison donc la conservation des aliments plus de 12 h est impossible, hygiène oblige. En plus, on ne cuisine jamais pour moins de10 personnes, midi comme soir On vit tous les jours à 9 dans la maison, plus un bébé, et après il y a toujours un voisin ou un cousin qui vient avec un chtite fringale donc mieux vaut prévoir le coup. Du coup, chaque midi c’est Thiep Bou Dieune (=Riz au Poisson), comprenez une grande marmite de riz bien épicé comme il faut, avec quelques légumes et un peu de poisson. Bref, ça tient au corps, c’est bon, et il y en a pour tout le monde à pas cher. Le problème c’est plus au niveau nutritionnel, dèjà les légumes et le poisson sont sur-cuit donc niveau vitamines on récupère pas grand-chose, et puis il y a beaucoup de sel et d’huile par rapport à notre cuisine, donc au bout d’un mois, même si tu as pas l’impression de manger beaucoup tu gonfles ! Après il faut s’adapter, par exemple j’achète beaucoup de fruits de mon côté et me force à boire du lait en poudre (moins cher, le lait liquide c’est que de l’exportation donc plus cher qu’en France !!) pour le calcium et les vitamines, et j’évite le thé local qui est archi-sucré, et tous les trucs frits, parce que rien qu’avec le riz j’ai déjà le plein de matières grasses !! Pour vous donner une idée, ici on consomme environ un demi-litre d’huile par jour pour la cuisine, donc même si on est nombreux ça fait beaucoup !! Je vois à la maison, entre trois personnes et les invités réguliers, un litre je le finis en un mois grand minimum, et c’est de l’huile d‘olive donc meilleure pour la santé.!

Mais bon, je me suis habituée à ce rythme de vie et à ces changements, à ce manque chronique de confort et de facilités quotidiennes, qui au fond ne me rend pas plus malheureuse. Au contraire, on se rend compte qu’on est moins parasité par des questions quotidiennes qu’on peut avoir chez nous, et donc on pense plus aux choses essentielles. On s’affranchi doucement de l’esclavage moderne du « tout-technologique » pour réapprendre à apprécier les choses simples à leur juste valeur. Tout simplement vivre de ce que nous offre la terre, rythmé par les exigences de la nature, sans couche de goudron ni d’asphalte nous séparant de la roche et du sable. Si on s’allonge sur le sol, on pourrait presque entendre un cœur qui bat… sans parler de survie, on réapprend à vivre d’une manière différente en désapprenant d’abord ce à quoi on était habitué. En plus d’une leçon de sagesse, ça nous ouvre des pistes de réflexion qu’on n’avait pas avant d’arriver. D’un certain côté, c’est un retour à une authenticité perdue, à une approche plus pragmatique des choses en général, réflexion qui aujourd’hui devient dénuée de sens dans notre société de métal et de modernité.

Après il faut être réaliste, pourrais-vivre définitivement dans de telles conditions ? J’avoue ne pas pouvoir répondre avec objectivité, car même si je ne veux pas encore trop y penser la date du retour approche, et cette idée sommeille dans mon inconscient, ce qui altère mon jugement et ma perception de cet environnement qui m’est aujourd’hui familier, car partie intégrante de mon nouveau train-train quotidien….comme on dit, on apprécie vraiment les choses surtout parce qu’on sait qu’elles ne durent qu’un temps, et la valeur de certains moment devient positive dans l’éphémère, mais dans la durée elle se transforme en lassitude ..

So.Li.Tu.De. .

•12 Mai 2010 • 2 commentaires
Dans la pénombre, à la tombée de la nuit,
Tu épies mes moindres faits et gestes,
Toujours à mon insu.
Des plus hauts sommets jusque dans les profondeurs de la Terre,
Tu es toujours là.
Même au milieu de mes plus belles conversations
Tu m’appelles et je ne peux empêcher mes paroles de s’embrouiller,
Mon regard de se détourner dans la contemplation lascive d’un horizon lointain.
Au milieu de la foule, parmi ses cris effrénés, je me sens seule.
Chacun me parle dans une langue inconnue qui m’isole un peu plus
Mais me fait comprendre que ma place est ailleurs, étrangère à tout.
Scène grotesque où je ne suis qu’un pantin désarticulé,
Un jour sans toi devient une belle utopie,
Tant tu entraînes mon esprit dans les nuages par une journée ensoleillée,
Tant les nuits deviennent sombres malgré l’éclat d’un ciel étoilé.
Essentielle malgré moi, tu me forces à comprendre
Que tu es un tout dans un rien,
Que la vie est un équilibre sur un vide infini,
Que mon esprit n’est au fond jamais là où vont mes pas.
A cause de toi je sais que je n’ai nullepart où aller
Car dans le fond ma place est partout là où il y a la vie.
Je me retrouve souvent dans la contemplation de l’océan où le murmure du vent dans les dunes.
Ce sont dans ces moments d’abandon au néant que tu n’es plus rien.
Perversion dans la chaleur humaine et attraction de la chair pour le plaisir des sens,
Tu me hantes dans les grandes places et me suit dans la foule.
Ceux là ne peuvent comprendre,
Et cette ignorance constitue ta force pour m’isoler encore plus.
Je me sens quelqu’un que quand il n’y a personne,
Je me sens seule surtout quand je suis entourée.
Quelle étrange compagne tu fais!
Bien que ta présence soit des plus pesantes
Tu n’es rien mais chacun se nourrit de toi sans le vouloir.
Beaucoup se détruisent en voulant te chasser,
Se noyant dans de sombres pensées qui emportent leurs âmes tourmentées.
Pourquoi s’infliger un tel mal quand il faut simplement t’inviter à entrer.
Tu fais partie de moi comme de lui,
Et malgré nous tu seras là pour l’éternité.
Quoiqu’il arrive tu es cette vérité qui nous dépasse,
On nait seul et chacun vit dans la tourmente de ton ombre jusqu’à la mort.
Je ne te crains plus car j’accepte ta présence et t’ouvre les bras.
Je suis faite pour toi malgré moi, et l’appel de mon être inconscient
Est malédiction de l’âme contre laquelle je ne peux lutter.
Alors entre, vieille amie, pourquoi s’agripper  à la tentation de l’éphémère pour adoucir ton omniprésence,
Au moins ton contact terrible et effrayant a un goût de durée.
Grâce à toi, j’arrive à me contempler, me retourner sur la route déjà effectuée.
Jour après jour, tu es un poids qui me pèse sur le cœur et me rend plus seule dans mon univers,
Mais, au fond, peut être, simplement plus sincère ..

Au village de Dak’Art ..

•12 Mai 2010 • Laissez un commentaire

Pour continuer notre tournée artistique de la semaine, voici une présentation en image

du Village des Arts, site incontournable de la culture de Dak’Art. Pour l’info, ce site a été inauguré en 1998, en même temps que le stade L.S.Senghor à Yoff.

En fait, quand la construction du stade a été achevée par les chinois et les coréens, les ouvriers ont laissé les préfabriqués dans lesquels ils vivaient pendant les travaux. Et au lieu d’être démolis, ils ont été investis par de nombreux artistes du coin pour qu’il puissent avoir leur propre atelier et local pour exposer.

Ainsi, pour la Biennale des Arts, le Village a été le théâtre de nombreux vernissages et autres inaugurations proposées par les artistes résidents. On y passe la journée tant il y a de choses intéressantes à voir, pour tous se retrouver dans la buvette du fond spécialement installée pour l’occasion, dans une ambience jazzie autour d’une belle brochette de thiof et d’une jolie Gazelle bien fraîche. LA vie se retrouve dans le petit bonheur des choses simples ..

Setal Sunu Senegal.

•10 Mai 2010 • 2 commentaires

8 mai.

Inauguration à Dakar du travail de 2 mois sur un sujet devenu classique mais incontournable : l’environnement. Avec une vingtaine d’enfants de Grand Mbao, nous avons développé le thème du « pourquoi c’est mal de jeter les ordures par terre » à son paroxysme, mais dans un cadre artistique étendu, projet nommé « Setal Sunu Senegal ». De la peinture au papier mâché en passant par le collage de tissus et autres prouesses créatives, notre artiste en chef Haby nous a très bien guidé dans ce cheminement, au cours duquel les grands apprennent autant que les enfants. Ainsi, le vernissage à la Galerie dans le cadre du Festival de la Biennale des Arts de Dak’Art est tant l’aboutissement d’un dur labeur que le commencement d’une nouvelle aventure.

Setal Sunu Senegal !!

Pour parler un peu plus des oeuvres en elle-même, il y a eu divers travaux.

Premièrement, les dessins. Simples, élaborés aux crayons de couleur et feutres, agrémentés de cours poèmes (où malheureusement l’orthographe est une utopie de la 8e dimension.!),

les enfants y ont souvent illustré des scènes de la vie courantes avec des commentaires très élaborés pour expliquer pourquoi c’est pas cool de négliger l’humble Dame Poubelle et le gentil M.Lavabo.

Quelques dessins.

Art...

....initiatique !!



Ensuite viennent les peinture sur tissus, où la création se définit dans le même ordre d’idée. Après on a cousu ces peintures

ensemble pour faire 3 méga tableaux ( 1m70x1m70, 1m75x1m20, 1m40x1m40), accrochés fièrement sur tout un côté de la Galerie.


Puis vient la super star de l’expo : l’Arbre Atomique du 23e siècle, qui sera notre pain quotidien

si on continue de provoquer Mère Nature. D’une taille moyenne ( 1m40) et résultant de la sympathique

Sweety tree in a crazy world.!

association de divers matériaux de récupération, il a une couleur à pleurer qui fait penser à un passage furtif de

Chernobyl (c’était en fait la fin de tous les tubes de gouache;) ) et ses fruits sont des

bouteilles en plastique customisées et déformées au chalumeau.

Le résultat n’en est pas moins saisissant, et il prône insolemment au milieu de tous les tableaux.

Sa super structure anatomique est en carton et fil de fer, le tout recouvert de papier mâché.

Bref, une vrai sculpture d’art contemporain à faire pâlir de jalousie les créateurs d’ « œuvres » d’art

inconsistantes et indigestes qui fleurissent de plus en plus dans les galeries d’art dites branchées de chez nous.

Message in a bottle ..

Sinon, pour poursuivre le travail du papier mâché nous avons également utilisé cette matière

sur des bidons d’eau en plastique, pour une griffe sans égales. On y ajoute de la peinture et

du terreau à l’intérieur, et voici de charmants pots de fleur !! Ou comment mêler l’utile à l’agréable,

vos plantes n’en seront que plus ravies, et puis c’est bon pour la planète.

D’autre part, pour le côté marketing de notre projet, nous avons confectionné des minis toiles sur tissus, tout en collage de chutes de boubou coloré et peinture pour illustrer des personnages de la vie africaine : pilleuse de mile, porteurs d’eau, de riz, … Toute une ribambelle de tableaux, certes modestes mais il y a pour tous les goûts et tout types d’intérieur (cf : à vendre à 1000frc l’unité, soit 1,50 euros-livraison à domicile pour la France métropolitaine à mon retour, donc avis aux amateurs 😉 ). Enfin, quelques œuvres d’artistes amateurs : Mamadou, le graffeur en chef avec une charmante représentation très personnelle du Setal Sunu Senegal, et moi-même avec l’exposition officielle de ma première création picturale, plutôt kitch et en mode Flower Power. Appel d’offre pour les intéressés, je la vends à pas cher!! Et j’allais oublier la précieuse contribution d’Ama, un artiste peintre de Mbao (un vrai cette fois-ci!), qu nous a aidé pour la calligraphie de la banderole de comm. et de nombreux dessins.

Ibou posant devant le Flower Power, by Ana Barbera ..

Voyage entre les tableaux à dos de bouteille atomique .!

Ribambelle de bouchons mal embouchés.











Bref, après la présentation de toutes ces œuvres, les enfants ont également préparé des pièces de théâtres dont l’intrigue tournait autour thème de la journée.

Ainsi, une première pièces mettait en scène une femme qui jette des papiers par terre comme une terrible effrontée, et qui se fait donc remonter le boubou par ses sœurs. Ensuite, la deuxième pièce est sur le thème de la Chinggers (=mauvaise élève), où l’action se passe dans une salle de classe où une élève plutôt cancre met le bazar, elle est donc punie et doit nettoyer la classe. Après le paternel arrive et gros clash avec le prof, bref même si c’est du frolof les enfants ont été extra et chacun a improvisé dans son rôle pour vraiment jouer le jeu, on a beaucoup ri dis donc! Le tout avec un final en chanson et chorégraphié, où nos tendres chérubins répètent que c’est vraiment pas bien de salir, et qu’on remercie bien fort les Amis de l’Ecole et les Trois A. Autant atypique que réussi.

Magistral. Le public applaudit, et nous, animateurs, qui jouons toujours les durs devant les gosses car, il faut le dire, ce sont de vrais terreurs, on est quand même un peu submergés par l’émotion devant le succès de la journée, accomplissement d’un travail de longue haleine. Quoiqu’il  en soit, ce n’était que le vernissage et l’expo. va durer encore un mois. Mais quel plaisir de voir les enfants s’investans un tel projet, qui leur fait beaucoup apprendre tant sur un plan culturel qu’artistique et moral.

D’autre part, un groupe d’enfants talibés est venu assisté au spectacle et au cocktail. Accompagnés d’animateurs d’une asso. voisine (« L’Empire des Enfants »), ils avaient le sourire et ont beaucoup ri pendant le théâtre, ce qui faisait chaud au cœur quand on connaît leur quotidien difficile, ça leur change de voir un peu de créativité enfantine et surtout un grand saladier de beignets coco.!

Haby et son fiston, Moussa la terreur !

En dehors de ça, quelques invités sont venus admirer les œuvres et papoter autour du cocktail, mais sinon pas une foule de visiteurs. Il faut dire que le jour d’inauguration officielle de la Biennale des Arts de Dak’Art, il y a tellement de vernissage et d’expos dans toute la ville que ce n’est pas facile de choisir quelle galerie visiter. Mais au fond cela n’a pas d’importance, du moment que les enfants ont accompli quelque chose de concret qui a eu du succès dans une juste mesure, ça montre qu’avec peu de moyens on peut faire beaucoup. Le soir, sur la route du retour, ils étaient épuisés après une telle journée non-stop ponctuée de répétitions, présentations et empiffrages de beignets coco, mais bon c’est connu que le succès est grisant, et à notre plus grand dam on a revisiter tout le répertoire de chants des 8-12 ans pendant 1h…c’est dasn ces moments comme ça qu’on serait prêts à payer n’importe quoi pour avoir 5 minutes de silence!

Une jolie re-présentation enfantine d’un thème de grandes personnes qui soulève tant d’inquiétudes aujourd’hui quant à l’avenir, voilà qui prête à réflexion, surtout quand on voit que le sujet de l’environnement occupe une place importante au cœur des débats socio-politiques actuels,  et soulève des actions tant opportunistes qu’ intéressées qui au final nous porteront préjudice et surtout aux générations à venir. La vérité ne sort que de la bouche des enfants dit-on, c’est souvent vrai car ils ont le don de mettre des mots simples sur des choses qu’on préfère ne pas mettre en avant. C’est sûr que ce n’est pas avec notre arbre anato-atomique en papier mâché qu’on va changer le monde et instaurer le tri sélectif dans les ghettos de Dakar, mais c’est en posant quelques cailloux sur la route qu’avec le temps on arrive à construire une muraille.

Dakar, ville aux mille visages.

•9 Mai 2010 • Laissez un commentaire

Capitale de la Teranga.

On la nomme en cinq lettres, qui résonnent comme un son infernal. Car s’il y a bien un mot qui vous vient à l’esprit la première fois que vous débarquez à Dakar, c’est bien celui-là : Enfer !

Loin des grandes avenues illuminées de Paris, des places fleuries de Rome, des canaux lisses et paisibles d’Amsterdam, du Flamenco des bar à tapas de Madrid. De l’autre coté de l’Atlantique, Dakar n’apparait pas comme le melting pot culturel de Londres, mais plutôt comme un vaste capharnaüm intersidéral. Les taxis jaunes, délabrés pour la plupart comme vestiges d’une époque lointaine et klaxonnant à tout va, vont bien pâle figure face aux taxis de NY City. Les vendeurs ambulants de café touba volent la vedette aux torréfacteurs et spécialistes de l’expresso ristretto de Palerme.

Ici, tout ce qui semble ordonnée et propre chez nous se reproduit sous une forme grossière, où la Reine que l’on nomme système D a établi son terrible royaume. A Dakar, chaque sortie est une aventure initiatique où se mêle dans une même mesure exaspération et émerveillement.

Les senteurs du marché se mélangent avec l’insolence ambiente de cet univers anarchique. Entre les étals de fruits exotiques et les marchands de jus tropicaux s’élève l’odeur fétide des égouts, d’une bouche mal embouchée.  Ici, un marchand de journaux, crieur public relatant les derniers évènements chaud-bouillants de l’Afrique et du monde, là un artisan sans prétentions dont les mains habiles tissent 1001 merveilles, revendeur de renouveau. Ceux qui connaissent bien Dakar n’y sont jamais perdus, mais toujours un peu à l’ouest, tant tout se ressemble et s’assemble. Les jeunes filles en talon bon marché et aux rajouts décolorés côtoient les bonnes « mama » du marché endimanchées dans leurs boubous colorés. Les derniers cris de BMW se font arrêter au gré des enfants talibés venant quémander quelques deniers pour pouvoir manger. On en prend plein les sens, tant tout est exagérément trop et si peu à la fois.

De jour comme de nuit, la ville est fourmillement et agitation. Sautez dans un taxi, et même sans vouloir regarder ce qu’il se passe au dehors, votre regard sera attiré par ce vieil homme au sourire édenté servant le thé noir bouillant à ses amis, par ces jeunes garçons au corps d’Apollon s’affrontant dans un combat de lutte acharnée où il n’y a ni vainqueurs ni vaincus, ou bien par ces jeunes filles mi-voilées à demi nues se manucurant devant le boutiquier du coin. On manque de se faire percuter par un bus à chaque croisement, mais heureusement la voix de Youssou N’Dour chantant à tue-tête couvre nos soupirs d’inquiétude. A pied comme au volant, il n’y a aucune règle qui domine, si ce n’est la loi de la jungle. Chaque instant d’inattention peut vous coûter cher, et l’abandon dans de douces rêvasseries n’appartient qu’aux inconscients.

Bienvenu à Dakar, ville d’exagération et d’insuffisance, en perpétuelle mouvement.

Bienvenu dans la ville où la misère bouscule la richesse avec un acharnement morbide, au rythme du muezzin de la Mosquée.

Bienvenu dans une ville de bruits, de couleurs, simplement vivante, riche dans sa carence comme dans son abondance.

Dakar, ville aux mille visages.

Récit tragique d’un conte enfantin ..

•20 avril 2010 • 5 commentaires

Il était une fois Karime.


Petit mais pas chétif, maigre mais pas gringalet, ignorant mais loin d’être stupide. Comme tous les enfants, il aime jouer souvent et aller à l’école de temps en temps.  Il aime écouter la voix de la maîtresse quand elle leur parle français, c’est comme une musique qu’elle chante dont il ne comprend pas encore toutes les paroles.


Malheureusement ses parents n’ont pas beaucoup d’argent, et préfèrent le voir aller travailler plutôt que de rester à l’ école. Les livres scolaires ne permettent pas de nourrir les bouches supplémentaires alors que, malgré tout, le travail paye et rapporte un sac de riz supplémentaire à la fin du mois. Karime est donc victime de l’ignorance de ses parents, et voit l’insouciance de son enfance sacrifiée sur l’autel d’un matérialisme irréfléchi. Conscient de la responsabilité qui l’attend, trop lourde pour de si frêles épaules, Karime arrête l’école à 11 ans pour commencer l’apprentissage du métier de carreleur. Motivé, l’esprit vif, il apprend vite et bien. Son patron est content de lui, et lui aussi même si parfois il se laisse aller à des rêveries qui le ramènent sur les bancs de l’école, où la nostalgie lui rappelle les souvenirs d’une enfance enterrée trop tôt.


Un jour son collègue, Ibou, lui propose de retourner à l’école, plus précisément dans le cadre d’un programme d’alphabétisation pour ados et jeunes adultes ayant arrêté l’école trop tôt. Ainsi il pourra réapprendre des choses oubliées, et en apprendre de nouvelles. « Si tu veux avoir la chance d’ouvrir ton propre atelier et devenir ton propre chef, tu dois y aller », lui conseille Ibou. Karime accepte sans hésiter, et le soir même il se rend au boutiquier du coin pour se procurer un cahier tout neuf et un stylo. Le lendemain il en parle avec son patron, qui est d’accord pour le laisser partir plus tôt une fois par semaine pour qu’il puisse se rendre aux cours.


Ce jour là quand Karime arrive en classe, il n’est pas seul. Apprentis menuisiers, carreleurs, peintre, ….nombreux sont les autres élèves présents comme lui sur les bancs . Le prof, c’est Alé. Homme connu par tout le quartier pour son grand coeur et sa sensibilité à l’égard de la cause infantile, il s’occupe des enfants du quartier, donne des cours de soutien, et fait tout son possible pour qu’ils réussissent à l’école. Il est en compagnie d’une toubab, qui parle doucement avec un accent bizarre. Karime écoute mais ne comprend pas tout, qu’importe le son de cette voix lui rappelle le temps où il était encore à l’école et écoutait le flot des mots que prononçait la maîtresse.  Aujourd’hui la première leçon porte sur l’alphabet. Karime s’en souvient vaguement, mais mélange un peu les lettres entre elles. Au début il n’ose pas parler, mais après quelques instants les langues se délient et chacun essaye de raviver ses souvenirs enfouis. Au final ça revient vite, et Karime parvient à tout écrire. Alé lui montre même comment écrire son prénom, en détachant chaque syllabe : KA-RI-ME. Ce dernier est tout content, et associe chaque son aux lettres pour écrire son prénom tout seul. La leçon du jour se termine en éclat de rire d’enfants qui se noient dans une bouillon de consomnes et de voyelles.


Le lendemain Karime se réveille de bonne humeur, et part au travail en chantonnant l’alphabet. Quand il arrive il va montrer à Ibou comment on écrit son prénom, et lui annonce fièrement que dans peu de temps il saura même parler français tout seul. Comme ça plus tard il aura son propre atelier, fera lui même les contrats et qui sait, peut être qu’il ira en Europe épouser une toubab ! Ibou le félicite et l’encourage à continuer dans cette voie, et intérieurement il sourit devant l’élan de motivation de ce petit bout d’homme.


Dans l’histoire, seuls ses parents ne semblent pas partager son enthousiasme, et sa soif d’apprendre. C’est bien beau de savoir lire, écrire et compter, mais ça n’a jamais permis de régler les problèmes qui s’amoncellent à la fin du mois. Sa maman ne travaille pas mais se lève tous les jours à l’aube pour préparer les trois repas quotidiens et assurer l’entretien de la maisonnée. A ses heures perdues, elle aime s’imaginer se délassant dans une belle maison avec un boubou de soie rose qui fera pâlir d’envie tout le quartier. Ses enfants seront tous bien marriés, et lui permettront d’acheter le thiep et le thé chaque mois, en reconnaissance du sacrifice de sa vie.

Quand à son papa, il travaille 8 heures par jour à l’usine du coin. Usé par le travail avant l’heure, il ne sait lire ni écrire mais après tout il n’en a pas besoin pour gagner sa vie. L’école c’est bon pour les filles en attendant qu’elles trouvent un mari, mais il y a certaines réalités qu’on ne peut ignorer. Ses fils sont sa plus grande richesse, ils doivent aller travailler pour assurer le bien-être de la famille, surtout quand lui même ne sera plus en état de le faire.


Ce soir là, quand Karime rentre à la maison, sa maman l’attend sur le pas de la porte, signe qu’elle a une nouvelle à lui annoncer. Son cousin Moussa qui a un bateau de pêche, décide de partir en Gambie pour chercher du travail. La pêche ne paye plus comme avant au Sénégal, les pêcheurs sont de plus en plus nombreux et il y a de moins en moins de poissons, surtout à cause des chinois qui viennent dévaliser les côtes avec leurs filets de plusieurs kilomètres de long. Bref, Moussa a besoin de quelqu’un pour l’aider à travailler, ce sera donc Karime qui partira avec lui. Celui-ci ne dit rien et file dans sa chambre préparer ses quelques affaires. La résignation, voilà le seul comportement qu’il ait le droit d’ adopter. En rangeant ses effets il tombe sur son cahier, encore immaculé. Sur la première page figure en grosses lettres son prénom, qu’il était si fier de pouvoir écrire tout seul. Ses leçons vont donc s’arrêter là, demain il quitte le village pour la Gambie. Alors les pensées de Karime s’énvolent et il se rend compte qu’il ne veut pas partir, qu’il ne veut pas être avc Tonton Moussa qui sent toujours le tabac froid et la sueur, qu’il a peur de dormir sans son papa…il aimerait pouvoir écrire ce qu’il ressent mais il ne sait pas et ne le saura probablement jamais, alors il se contente d’écrire ce qu’il sait : K-A-R-I-M-E. Les lettres volent et s’envolent au rythme effréné de ses pensées, et sans qu’il s’en rende compte il se met à pleurer. Les larmes coulent sur son cahier, formant des tâches sombres sur les lettres qu’il vient d’écrire, danse macabre de ses pensées.

Le lendemain, Karime quitte le village à l’aube après de rapides adieux à la famille. Il emporte son carnet avec lui, mais les autres pages resteront à jamais vierges.



Il était une fois Karime.


Ce n’était pas un enfant soldat, ni un talibé, et ne lui avait pas volé un organe pour le revendre au marché noir. Son histoire est tristement banale, c’est juste celle d’un enfant qui aurait voulu le rester un peu plus longtemps. Sa chaise vide le restera, et nous rappelle seulement ce qu’il aurait pu être et ne sera probablement jamais, maintenant prisonnier qu’il est d’une condition dictée par des obligations familiales innaliénables.

Ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de larmes versées en silence par tous ces enfants qui auraient juste voulu pouvoir l’être un peu, mais ne le sont plus depuis bien longtemps ..

Il était un jour Gorée . ..

•13 avril 2010 • 4 commentaires

Ile de Gorée. Belle, mystérieuse,  petit paradis flottant avec nonchalance au large de Dakar. Pourtant ancien théâtre des pires manifestations de l’inhumanité de l’homme, plaque tournante de l’esclavagisme, pilier du commerce triangulaire pendant des siècles.

Quand on arrive à Gorée on a comme l’impression de quitter le pays, d’entrer dans un micro-monde merveilleux qui flotterait comme une bulle au-dessus de l’anarchie dakaroise. Tout est propre, coloré, soigné, serein. Pas de voitures ni de charrettes, pas de déchets, pas de désordre…je me suis rendue compte que la vie dans la capitale me fatiguait, tant j’ai apprécié mon cours passage en territoire goréen.

Patrimoine de l’humanité et site incontournable de l’histoire universelle, l’île de Gorée a ce petit quelque chose d’indéfinissable qui la rend unique, une touche de mystère qui la rend inoubliable.

Les rues sont étroites et de toutes parts des fleurs et autres plantes dégringolent en cascade, chaque maison a une couleur différente et tous les bâtiments sont historiques, imposant le respect des vielles pierres ayant vu défiler tant de générations. Bien sûr, en dehors de la beauté naturelle de l’île, sa célébrité provient de son histoire funeste en terme d’esclavagisme.


Le comptoir de Gorée était économiquement parlant le plus actif et attractif de toute l’Afrique de l’Ouest, et permettait le transit du bétail humain vers le monde occidental. Usine infernale de chaire humaine, la maison des Esclaves est le site qui témoigne de ce passé sanglant. Pouvant abriter jusqu’à 200 personnes, c’était l’endroit où l’on « triait » les esclaves en fonction de leur sexe, âge, corpulence et utilité. A titre d’exemple, une vierge valait comme un homme de robuste composition, alors que les femmes et les enfants avaient une valeur jusqu’à 6 fois inférieure. Les pièces où étaient entreposée cette « marchandise » étaient vétustes, insalubres, et les réfractaires étaient enfermés des heures durant dans des cachots qui font peur à voir. En cas d’insoumission, la sentence était la même pour tous : 29 coups de fouet minimum, femmes enceintes et enfants confondus. Les femmes non vierges pouvaient être violées à tout moment par les geôliers, et nombres d’entre elles se sont données la mort plutôt que d’enfanter d’une telle infâmie.

Enfin, il y la porte de non retour : c’est le couloir par lequel on faisait passer les esclaves de leur cellule directement jusqu’à la cale des navires qui filaient droit vers l’Amérique ou l’Europe. Les esclaves étaient, pour l’occasion, enchaînés deux par deux par des chaînes aux pieds assorties d’un poids de 10kg pour empêcher toute tentative d’évasion. Au moment de ce cheminement lugubre, nombreux étaient ceux qui préféraient la mort au terrible voyage, et se jetaient à la mer. C’est ainsi qu’après quelques temps, l’endroit était infesté de requins tant le sang versé était abondant. D’autres attendaient alors d’être en mer pour se ‘ »libérer », et parfois cela prenait l’allure d’un suicide collectif afin de se venger de leurs bourreaux. Malgré tout, certaines coalitions d’esclaves ont permis des mutineries ayant abouti à un massacre de l’équipage, et à une prise de contrôle du bateau par ces derniers. Certains sont même parvenus à fonder de nouvelles colonies d’esclaves ayant pu briser leurs chaînes. Malheureusement, cela ne concerne qu’une faible minorité…. Quoiqu’il en soit, la statue symbolisant la fin de l’esclavagisme représente ce funeste passé qu’abrite ce petit bout de terre au milieu de l’océan qui, sous sa paisible apparence, a orchestré un des pires massacres de l’histoire.

Afin d’illustrer ce récit morbide, voici un poème écrit par des lycéens relatant d’une manière imagée ce qu’ils ont appris de Gorée, publié actuellement dans la Maison des Esclaves.


A Gorée.

Pêche, pêcheur, le poisson.

Mais, s’il te plait, le petit d’homme,

Ne le prends pas dans tes filets.


Chasseur, chasse l’antilope,

Le phacochère, le singe bleu,

Mais je t’en pris, ne chasse pas le petit d’homme.


Cogne, cogne charpentier.

Mais ces grands coups de maillet

C’est aux murs que tu les réserves.

Ils ont tant vu ces vieux murs!

Ah! Si demain ils nous parlaient?

Tombent, tombent les masques,

Roulent, roulent mes larmes sur cette pauvre terre.

Battue par des pieds si captifs.

Chante djambé, chante goyave,

Ah! Si la terre pouvait nous dire?


Roche gorgée du sang des lions noirs

Tête tournée vers l’Amérique.

Chante djambé, chante goyave,

Chante, chante grave,

Sur ma plaie verse l’eau salée

Rien ne calmera ma soif de toi, Gorée.

Gorée, je veux savoir, et je saurais.


Ils étaient des cents, ils étaient des milles.

Voici novembre deux mille.

Je viens à toi, île posée en solitaire

Sur le rythme doux de l’amer.

Tout à coup…La Maison aux Esclaves

Et la porte de non retour.

Bouche putride sur le vide.


Cogne, cogne djambé, chante goyave,

Que chaque voyage en clapotis vers la plage ramène ce cri.

C’est l’enfant qu’on arrache au sein noir de sa mère,

C’est l’amant capturé dans le lit de l’amante,

Partout la poudre, le poignard,

L’étrange union de la terre et du sang.

En cet instant où ils passèrent

Les chaînes au cou du petit frère

Océan, t’es-tu déchaîné?


Toi, aujourd’hui tu souris,

Tu t’endors petit à petit,

Mais moi je ne peux oublier

Les coups de rame, les coups de fouet.


Chante djambé, chante goyave,

Chante, chante, chante grave.

Sur ma plaie verse l’eau salée

Rien ne calmera ma soif de toi, Gorée.

Gorée, je veux savoir et je saurais.


Compte-rendu pratique en milieu informel.

•13 avril 2010 • Un commentaire

Bientôt deux mois depuis mon arrivée au sein de l’association, et mon stage de volontariat international m’a appris beaucoup de choses, sauf le luxe de l’immobilisme ou de la paresse. De nombreuses surprises au tournant, des idées qui fleurissent au fil des jours face à la tentation de se décourager au vue de la lascivité ambiante. Quel est donc le bilan de cet appendice d’aventure au goût d’Afrique?

Sans vouloir me lancer dans une énumération soporifique des actions menées jusque là et des projets en cours, voici une brève présentation du travail accompli et de celui (et pas des moindres) qu’il reste à accomplir jusqu’à mon départ.

En premier lieu on a largement augmenté le nombres d’heures de cours dispensés, d’une part face au besoin des élèves en « difficulté chronique », d’autre part face à l’augmentation du nombre d’élèves. C’est ce qu’on appelle la rançon de la gloire, ici je suis la bête de foire de ces tendres chérubins alors ils sont plus nombreux à venir au « toubab show » . Du coup il y a cours du lundi au vendredi de 15h à 19h, du CP jusqu’à la 5e.

Ensuite vient le Festival artistique « Setal Sunu Senegal », qui aura lieu à Dakar du 8 mai au 4 juin. Au programme du vernissage à la Galerie : représentations théâtrales en extérieur par certains enfants sur le thème incontournable de la Protection de l’Environnement, suivi d’un cocktail et d’une présentation des œuvres. Ces dernières sont diverses et variées : peinture sur tissus, collage de tissus récupérés, arbre géant en papier mâché, peinture sur sable, décoration de bouteilles collectées sur la plage, etc etc…. Autant dire qu’il y a du travail, sans parler de toute la Comm. accomplie dans la banlieue dakaroise et les centres culturels locaux.

D’autre part on a mis en place des cours de remise à niveau et d’alphabétisation pour jeunes adultes, notamment au profit d’ apprentis en artisanat local qui ont arrêté l’école trop tôt pour apprendre à écrire correctement leur prénoms.

Pour ce qui est des activités pédagogiques il y a une programmation établie jusqu’à fin juillet : visite guidée de l’île de Gorée, du Parc Naturel de Hann, Kermesse, Semaine Verte, Festival d’été, Visite du Village des Arts ….. il y en aura pour tous les goûts, mais je n’en dis pas plus vous découvrirez ces évènements au fur et à mesure.

Enfin je vous invite à revisiter le site de l’association que je m’évertue à rendre plus attractif, mais bon ce n’est pas une grande nouvelle que je suis « out » en informatique alors ça me prend du temps pour changer tout ça, je comprend vite mais il faut m’expliquer longtemps ;).

Par ailleurs pour ce qui est de l’association en elle même, le dimanche 18 avril aura lieu une session spéciale de l’Assemblée Générale mensuelle afin de réorganiser le bureau dirigeant. En d’autres termes, le bilan triennale a révélé que des membres ne l’étaient que sur le papier et qu’en réalité ils n’étaient pas à la hauteur de leurs responsabilités. Bref, un exemple de plus faisant référence à l’attentisme local que j’ai déjà évoqué à maintes reprises. Heureusement que tout le monde n’est pas comme ça, ainsi les nouvelles élections de dimanche auront pour but de faire un grand nettoyage de printemps afin de mettre les personnes méritantes à leur juste place, et les autres aux oubliettes. Ames sensibles veuillez m’excuser pour le franc parler de mes propos, mais à un certain moment il faut savoir appeler un chat « un chat »!

Voici donc la programmation printemps-été 2010, ce n’est qu’un léger aperçu mais je réserve le meilleur pour la suite….quoiqu’il en soit, soyez sûr d’une chose : vous non plus vous ne serez pas déçu !

Cinquantenaire de l’indépendance : vers un demi-siècle de décadence ?

•13 avril 2010 • 3 commentaires

4 avril. Fête de l’indépendance d’un pays jeune officiellement de 50 printemps, mais dont l’histoire millénaire a été balayée par des décennies de colonisation sauvage.Bien sûr la transmission orale et archaïque du savoir par les anciens n’a pas aidé à la conservation optimale de la culture traditionnelle, mais bon c’est sûr que l’influence de l’occupation toubab n’a pas aidé.

Revenons-en à cette fameuse fête. Dans toutes les villes du Sénégal sont organisées de nombreux défilés et autres manifestations pour témoigner de l’importance de ce cinquantenaire d’une liberté conquise durement par la sueur et le sang versé de toute une génération. Quelle en est la récompense aujourd’hui, après toute ces années ?

Malheureusement la désillusion se lit sur trop de lèvres, et on pourrait entendre un murmure sourd de désenchantement entre deux roulements de tambour. Dans une fête telle que celle-ci, différentes organisations, institutions, corps de métiers vont vêtir leurs plus beaux apparats et défiler sous les yeux de la foule : élèves d’écoles prestigieuses, détachements militaires, Croix-Rouge, sauveteurs en mer, associations de protection des droits de la femme, …il y en a pour tous les goûts et plein la vue. Pourtant, un léger vent d’amertume souffle sur ce couloir de la désillusion, et de nombreux spectateurs n’ont pas tant le cœur à la fête quand, les yeux dans le vague, ils pensent aux difficultés quotidiennes qui s’amoncellent. Aucune fête n’empêchera les enfants talibés de se lever à l’aube pour aller faire la manche, ou les pêcheurs d’aller en mer chercher leur gagne-pain. Ainsi, nombreux sont les abonnés absents de la liesse populaire, car fête ou pas la crise est toujours là. Célébrer un anniversaire quand le prix du kilo de riz a triplé ces dernières années ? Quand les coupures d’électricité perdurent dans l »ensemble du pays ? Quand 50% de la nouvelle génération est analphabète ?

Bref,l’ombre de ces festivités s’étend et prend le visage d’un mal être social latent, prenant l’ensemble des populations n’ayant pas atteint le sommet. En outre, quand on sait que quasi 50% de la population a moins de 30 ans, on peut mieux cerner cette indifférence à la fête. Les pères qui ont contribué au façonnement de cette liberté acquise 50 ans auparavant ne sont plus ou pas assez nombreux , alors les jeunes ont du mal à s’identifier à un combat qu’ils n’ont pas mené. Leur manque d’instruction ne fait que renforcer le « complexe du colonisé », obsession chronique qui constitue un frein au progrès social. En effet, tous n’ont qu’un mot à la bouche : Partir. Pour quoi, pour où? L’Europe, les Etats-Unis, le Canada… Même sans diplôme ni connaissances sur place, ils pensent tous que chez nous on travaille peu pour gagner beaucoup, que tout est plus facile. Alors quand j’évoque leurs compatriotes vendeurs à la sauvette qui passent leur temps à échapper à tout ce qui porte un uniforme, on me rit au nez. C’est plus facile de croire en une terre promise, d’imaginer une vie meilleure de l’autre côté de l’Atlantique….malheureusement la réalité est toute autre, mais l’eldorado du merveilleux pays des blancs est tellement ancré dans les esprits de la nouvelle génération qu’ils sont peu nombreux à comprendre qu’ils doivent rester, que c’est le combat qu’ils doivent mener pour offrir un avenir meilleur à leurs enfants. Malheureusement, les cerveaux et la force de travail rêve d’ailleurs pendant que le pays est dirigé par une oligarchie composée de certains hommes dont certain ont à peine le BAC.

Ainsi, beaucoup de gens se laissent vivre devant l’incertitude de l’avenir et préfèrent attendre qu’on vienne les aider avant qu’ils ne s’aident eux-même. Il ne faut pas prendre ça comme une condamnation de la petite toubab qui se la raconte moraliste en Teranga, pas du tout. Mais je vois tellement de parents qui en ont rien a faire de voir leurs gamins traîner dehors et arrêter l’école à 12 ans, des pères préférant se chercher une deuxième femme plutôt que de s’occuper des enfants de la première ou des mères gaspillant leurs maigres économies dans de la crème décolorante plutôt que dans du lait ou des livres scolaires. Tout ça me donne l’impression qu’en dehors de la politique politicienne d’une minime minorité qui s’envoie en l’air dans le pétrole et le luxe pendant que ceux d’en bas crèvent de faim, l’attentisme est l’autre fléaut qui gangrène l’avancement du pays. Certes nous avons une responsabilité indéniable dans ce retard de développement, mais 50 ans après la proclamation de l’indépendance, c’est trop facile de dire que tout est la faute des étrangers alors qu’on ne cherche pas de travail pour arrondir les fins de mois. Certes, la vie quotidienne est difficile et les conditions de travail rude, mais c’est sûr que quand on ne cherche pas, on ne risque pas de trouver. Après il ne faut pas considérer mes propos comme une condamnation radicale des populations, mais il y a tellement de gens qui donnent des excuses pseudo colonialistes à leur misère alors que je VOIS ce qu’ils font de leur argent et de leur temps, et qu’en connaissance de cause je peux dire qu’ils ont une certaine part de responsabilité dans la précarité de leur situation.

Après je le répète, je ne suis personne pour juger quoi que ce soit, je reste à ma place de simple spectatrice, mais j’avoue que c’est rageant de constater un tel attentisme banalisé, alors que parallèlement je vois beaucoup de gens qui se démènent jour et nuit, et dont les efforts ne sont pas récompensés à leur juste valeur.

Par ailleurs, le pays traverse une crise identitaire de plus en plus prononcée entre les différentes ethnies. Ainsi, aujourd’hui il devient plus difficile de marier une Wolof avec un Toucouleur qu’avec un français. D’un point de vue économique, le pays a pris du retard et voit sa balance commerciale toujours déficitaire. Même si les ressources et la force de travail sont là, la mauvaise redistribution des richesses devient un mal chronique, surtout quand on voit qu’après 50 ans le pays souffre toujours d’une répartition énergétique aléatoire, et que les problèmes d’irrigation et de gestion de l’eau ne sont toujours pas réglés. Quant au système éducatif, il reste inchangé depuis les années 60….il n’y aurait rien à redire si tous mes élèves de CE2 étaient capables d’écrire leur nom, malheureusement tel n’est pas le cas..à se demander ce pour quoi sont payés leurs profs, et s’ils savent faire autre chose que de se mettre en grève quand le ventilo est en panne.!

Ainsi, quand je regarde cette foule devant le défilé, je m’interroge sur le véritable sens de cette fête, et je suis loin d’être la seule à éprouver ce sentiment de malaise. En 50 ans , le pays n’ pas progressé comme il aurait pu le faire, et à même régressé dans certains domaines. Le panier de la ménagère est moins bien garni aujourd’hui qu’en 1960, et on ramasse par dizaines les corps sans vie d’adolescents qui ont tenté la transatlantique en barque pour un pseudo monde meilleur. Comme si après l’euphorie de l’indépendance les gens vivaient dans une gueule de bois permanente, et préféraient se recueillir sur les cendres d’un passé révolu plutôt que de se tourner vers l’avenir.

Alors ils pourront toujours chanter l’hymne national, défendre les couleurs de la nation et rappeler l’héroïsme de certains résistants africains, mais que leur ont-ils laissé?

Comme si l’indépendance n’était qu’une finalité en soi mais pas un moyen de reconstruire le pays.

Comme si c’était un cadeau inespéré offert en des mains qui ne savent pas quoi en faire, alors on préfère le regarder plutôt que d’apprendre à s’en servir. Et c’est justement ce nuage de tristesse et de désillusion qui vient voiler le soleil de cet anniversaire..